La raison d'être de la littérature - Gao Xingjian
Présentation de l'éditeur : "Je ne sais si c'est le destin qui m'a poussé à cette tribune..." Ainsi commence le discours que Gao Xingjian a prononcé le 7 décembre 2000 à Stockholm pour la réception du prix Nobel de littérature. Après s'être réjoui de pouvoir exposer librement au monde ses conceptions sur l'art et la littérature, Gao Xingjian réaffirme sa foi dans une littérature libre de toute contrainte sociale et politique, où l'écrivain ne représente que lui-même et n'est jamais porte-parole d'un peuple ou d'une cause. Etonné que l'on veuille enfin écouter sa voix fragile, il explique - en rappelant l'exemple de grands auteurs chinois et occidentaux - que la littérateur reste la seule consolation pour survivre dans un monde fou qui ne marche pas forcément vers une évolution positive... et la seule façon pour l'homme de se sentir vivant dans ce monde-là. C'est pourquoi il nous a semblé logique - et important - d'adjoindre à cette publication les dialogues sur l'écriture échangés par Gao et son ami Denis Bourgeois, qui viennent confirmer l'opinion forte de Gao : "L'écriture, pour moi, c'est un moyen de supporter l'existence. Si cette vie peut avoir quelque valeur, c'est uniquement parce que je le constate par mon écriture : je me sens bien vivant, je peux prendre mon indépendance. Dans l'écriture, je dis ce que je pense. Dans la vie, par contre, ce n'est pas possible."
Les éditions de l'aube rassemblent ici deux textes littéraires qui me semblent aujourd'hui indispensables à la compréhension de la littérature. En y repensant, je suis étonnée que jamais un professeur de lettres (au collège comme au lycée) ne m'ait donné une définition de la littérature. On nous enseigne la littérature comme des histoires, avec des personnages, à qui il arrive des péripéties, des rebondissements. On m'avait même appris à faire de jolis schémas pour montrer que tel personnage est lié à tel autre, qui est lié à untel. Je n'avais jamais réellement apprécié toute cette autopsie technique des livres mais malgré tout, j'ai toujours aimé la littérature et heureusement, ces façons d'enseigner ne m'ont jamais dégoûtée de la lecture. Ce n'est qu'en hypokhâgne que j'ai pris conscience de ce qu'est la littérature et c'est quelque chose de tellement simple finalement qu'avec du recul, j'ai l'impression que mes professeurs de lettres sont toujours passés à côté en nous l'enseignant comme une science dure. Pour moi, la littérature est tout simplement la narration d'une expérience sensible individuelle.
Toute cette parenthèse pour dire que ces deux textes (un discours et des dialogues) me semblent être une magnifique leçon de lettres, comme l'on devrait les donner aux collégiens et aux lycéens. Gao Xingjian ainsi que Denis Bourgeois y parlent de l'acte d'écrire et de sa signification, du théâtre, mais aussi de l'art en général. L'arrière-fond historique de l'histoire personnelle de Gao Xingjian fait surface et est nécessairement quelque chose d'intéressant. A partir de cette histoire personnelle (Gao était obligé de cacher ses écrits dans des pots, enterrés sous terre ; il vit aujourd'hui comme réfugié politique en France), Gao nous raconte son rejet de la politique. Ces deux textes m'ont parfaitement fait comprendre la différence fondamentale entre la politique comme étant l'acte de représentation de plusieurs unités et la littérature comme étant l'engagement à raconter une expérience individuelle sans aucune volonté de représentation. Cette différence, il me semble que je l'avais perçue en partie en lisant Le sang des autres de Simone de Beauvoir.
Quoiqu'il en soit, ce sont deux textes que je recommande profondément pour leur beauté car ils m'ont semblé toucher la Vérité.
"C'est la littérature qui permet à l'être humain de conserver sa conscience d'homme. On peut dire que se parler à soi-même constitue le point de départ de la littérature, communiquer au moyen du langage vient en second. Lorsque l'homme injecte ses sentiments et ses réflexions dans le langage, puis qu'il recourt à l'écriture, alors naît la littérature. Lorsque, ensuite, sans visée utilitaire, et sans même penser jamais être diffusé, il continue cependant à écrire et recueille du plaisir grâce à l'écriture, et même un dédommagement, c'est déjà une récompense. Si j'ai entrepris l'écriture de mon roman La montagne de l'âme précisément à l'époque où mes oeuvres, malgré une autocensure, étaient quand même interdites, c'était purement pour épancher ma solitude intérieure, pour moi-même, sans compter être publié un jour."
Lu dans le cadre du challenge ABC 2010
10/26