Profession du père - Sorj Chalandon
André Choulans fut un père tyranique, pitoyable, détestable... Bien des adjectifs existent pour décrire cet homme égoïste, incapable d'amour. Emile, son fils, entreprend de raconter la place de son père dans son enfance, en débutant sa narration en 1961, alors qu'il n'a que 9 ans.
"Je comprenais. Bien sûr, je comprenais. A neuf ans, on comprend tout."
Emile a vécu son enfance dans un petit appartement, éduqué par ses deux parents. L'éducation de son père, un ancien parachutiste, fut plus que spéciale. Il s'amusait à embarquer son fils dans des actions d'espionage, lui faisait faire de la gymnastique dans sa chambre pour le préparer physiquement alors qu'il était un petit gringalet. Ce père mythomane compulsif entraînait son fils crédule dans des histoires d'espionage, d'OAS et de CIA. Il ne supportait pas la moindre contradiction et n'hésitait pas à battre son fils et sa femme au moindre écart de conduite. Chalandon en fait un personnage à la fois pitoyable (un vrai pauvre type) et un tyran horrible (les scènes de violence sont terribles). Cela créé un sentiment assez ambigü puisqu'alors qu'on ne peut que détester un tel homme abject, on en vient parfois à avoir pitié d'un être aussi pathétique.
Emile devient lui-même mythomane pour plaire à son père, et entraîne avec lui son camarade de classe Luca, au grand malheur de ce dernier.
La mère d'Emile, qui n'est pas non plus généreuse en preuves d'amour, est une personne faible et malheureuse, qui ne fait que subir le courroux de son mari et n'a pas le courage de partir pour protéger son fils. Le portrait que Chalandon fait de cette femme est particulièrement réussi et triste : elle n'est personne, n'a pas de volonté ni d'ambition.
Profession du père est d'un réalisme incroyable : alors que le quotidien d'Emile n'est que mensonges, la narration de sa vie décrit avec beaucoup de simplicité et d'authenticité le quotidien d'une famille très pauvre : peu de nourriture, un grand sens de la fierté (au point de refuser l'aide de quiconque), une vide culturel et éducatif... Ce réalisme, aditionné à la violence domestique rend ce roman particulièrement dur et émouvant. J'y ai retrouvé le rythme extrêmement dynamique du Quatrième mur : on est pris dans un engrenage en commançant la lecture et il est difficile de s'arrêter.
Bien sûr, le fait que l'on puisse imaginer que certains éléments du roman soient de nature autobiographique joue beaucoup dans le côté compulsif de la lecture. Elle est d'autant plus douloureuse et triste que l'on se demande où s'arrête l'autobiographie et où commence la fiction.
Vous l'aurez compris, Profession du père est un roman d'une très grande force et d'une très grande intensité dramatique. Certaines scènes sont extrêmement saisissantes par la simplicité avec laquelle elles sont décrites et par leur cruauté (notamment celle où il rentre dans l'ancien appartement de ses parents alors qu'ils viennent de déménager). Quant à la fin, elle est une claque pour Emile et le lecteur.
Bref, ne passez pas à côté !
Référence
Sorj Chalandon, Profession du père, éditions Grasset, 320 pages